Auteur: Auvray-Assayas, C. & Delattre, Daniel
Titre: Cicéron et Philodème. La polémique en philosophie
Revue/Collection: Collection Études de littérature ancienne
Lieu èdition: Paris
Éditeur: ENS rue d’Ulm
Annèe edition: 2001
Pages: 438
Mots-clès: Philosophie - Filosofia - Philosophy
Description: [Abstract] Le colloque sur Cicéron et Philodème est introduit et dominé par la très riche contribution du regretté Marcello Gigante, qui apporte un état de la question capital sur Philodème dans l’histoire de la littérature grecque; l’auteur, s’appuyant sur une étude diachronique de l’érudition à partir d’Usener et de Sudhaus met en lumière le problème essentiel de «communication» qui a hypothéqué, avec les préjugés moralisants, la transmission de l’épicurisme à Rome; la rhétorique est au cœur du débat. A. Michel apporte d’utiles remarques, qui s’ajoutent au dossier difficile des relations idéologiques entre l’otium romain, très politique, et la doctrine épicurienne; une étude attentive du Peri rhètorikès et du Peri agathou basileôs... révèle l’inflexion romaine et «civique » de l’épicurisme campanien, soulignée par l’article «classique » de Momigliano. Une analyse subtile et assez convaincante de C. Lévy sur «la problématique de l’éloge paradoxal» rétablit bien l’équilibre entre l’anti-épicuréanisme de Cicéron, sorte de dogme établi, et une certaine «positivité, sincère ou feinte» de plusieurs mentions. Nul ne niera qu’il y ait, chez l’Arpinate, un tiraillement entre le rejet de la doctrine, parfois systématisée dans son esprit au détriment de la lettre, et l’estime pour tel ou tel épicurien romain. Voir notre Otium...., qui reste au cœur du débat ; voir l’affirmation étonnante du De Off. III, 117. La «réponse» de J. L. Ferrary met l’accent sur cette ambiguïté, notamment en réexaminant avec sagacité la correspondance avec le «convers» Cassius. L’étude, plus prosopographique que philosophique, de M. Griffin, Piso, Cicero and their Audience, apporte la mise au point sur l’opposition politique entre Cicéron et Pison, antérieure à la réconciliation des Philippiques; l’article insiste sur la lecture hédoniste... et déviée des leçons du maître en épicurisme, Philodème. La «seconde partie» est centrée sur une «confrontation des doctrines», à vrai dire plus qu’esquissée. La contribution d’E. Asmis, plus copieuse que dense, se dégage mal du ‘topos’ sur le platonisme de Cicéron, et n’analyse que tardivement «l’argument anti-épicurien»; après un long détour par la politologie de l’Académie et du Lycée, et de l’antagonisme «politique» entre Portique et Jardin, mal dominé, on arrive à la conclusion évidente que le civisme cicéronien serait anti-épicurien. Quelques réserves qu’on soit tenté de formuler sur la formule «antilogique» exposé-réponse, celle des Entretiens de la Fondation Hardt, force est de constater que la très riche «réponse» de B. Besnier, avec son appareil bibliographique, recentre le débat sur l’essentiel Fin. Ensuite, le précis d’éthique épicurienne limité à «quelques considérations sur l’éthique» (l’amitié ; la doctrine du plaisir), postule, plus qu’elle ne la démontre, « la familiarité de Cicéron avec Philodème et son ‘œuvre’ »; la démarche reste assez impressionniste et diffuse dans cet essai de V. Touna. L’originalité de l’axiologie morale de Torquatus se dégage mal des juxtapositions thématiques. On appréciera davantage la belle étude de M. Capasso, Les livres ‘Sur la flatterie’ dans le ‘De uitiis’ de Philodème et la «confirmation» d’A. Monet. L’article de D. Obbink sur «le livre I du De natura deorum de Cicéron et le De pietate de Philodème» apporte de fortes conjectures sur une lecture directe, et livre des éléments éclairants sur le contact de l’Arpinate avec les religions orientales et leurs théologies originales. On aborde alors la «troisième partie» sur les problèmes de culture et d’esthétique posés par l’œuvre de Philodème. Un très riche bilan de D. Delattre et la synthèse de D. Blank sur la place de la rhétorique dans l’orthodoxie épicurienne précèdent la confrontation entre Philodèm et Cicéron sur les ‘models of rhetorical expression’; le grand mérite de D. Blank est de souligner les mises au point doctrinales de Démétrius Laco, souvent sous-estimées; une discussion très féconde sur la paideia, la part de technè dans la rhétorique, permet de cerner une évolution, sinon une déviance, des « jeunes épicuriens» ; mais cela n’exclut pas, de la part de Philodème, une familiarité avec la totalité des «écrits des fondateurs», et les mises au point sont de nature à nuancer les thèses «anti-oratoires» prêtées à Épicure, sur lesquelles Cicéron fait assez souvent fond. Le parallèle institué par R. N. Gaines entre le Brutus, l’Orator, et le papyrus 1423, qui rappelle les «modèles» de Cicéron et ses débats ‘de optimo, genere’, permet d’élargir le problème à l’ensemble de l’esthétique philodéméenne: de passer de l’esthétique discursive à l’esthétique émotionnelle de la poésie. Le débat pourrait être mieux axé sur la poétique cicéronienne et ses liens avec certaines des finalités de l’éloquence (mouere/delectare). La très savante analyse sur Philodème et l’esthétique de la poésie, de R. Janko, reste tributaire des obscurités de la tradition textuelle de la composition. Mais la synthèse sur le sublime de l’antiquité couronnera le recueil, en interrogeant la tradition des kritikoi qui court de l’Académie au traité de Longin (J. I. Porter); le trait commun du «sublime longinien» et de «l’idéal cicéronien» est d’expliciter un esthétisme de la voix humaine, et un au-delà des techniques intellectuelles de la persuasion. La grande originalité de l’École campanienne, dont Cicéron ne semble guère avoir discerné la cohérence, est d’avoir développé une esthétique positive, qui relève le Jardin du grief d’inculture artistique. La dernière partie de l’ouvrage est très riche. A. Barker analyse la théorie musicale du stoïcien Diogène de Babylone, conservée dans une intention polémique, par Philodème: toute une doxographie hellénistique explicite le conflit entre une «approche» mathématique et une «approche» empirique de l’harmonie musicale. On lira avec le plus vif intérêt les analyses ténues sur le «mouvement» et la mimétique de l’action. La «reconstruction de l’esthétique musicale de Philodème», qui suit, est plus «classique» (D. Delattre). Cet auteur restitue le sens précis de mousikè, le mécanisme sensoriel de l’audition; un peu rapide sur «le statut des arts dans l’épicurisme» – qui néglige P. Giuffrida –, il établit, sur la base de la «physique», la liaison de la musique avec l’alogon, l’absence de «capacité motrice» de la musique : antinomique de l’ascèse de sagesse et de bonheur, elle ne peut garantir qu’un plaisir formel – on rejoint le fragm. 67 des Epicurea. Du coup se trouve dépassé le dilemme académique dans lequel l’érudition italienne enfermait la pratique de la musique (et de la poésie), entre 1930 et 1950: fantaisie compatible avec la doctrine, ou hérésie? La conclusion de bon sens est qu’il existe une lecture romaine de l’épicurisme, à l’usage de l’aristocratie cultivée, et qu’ici, comme dans le domaine de la science politique, Philodème, a joué un rôle essentiel. Cette publication collective ne résout pas totalement les problèmes de réception, directe ou indirecte, de la pensée philodéméenne chez Cicéron: la pochade de l’In Pisonem et l’allusion du De Finibus ne suffisent pas! Les rapprochements philologiques et juxtalinéaires ne créent que des probabilités. Mais le contact purement intellectuel avec l’épicurisme campanien, et le refus ambigu des convergences, sont difficilement niables.
Liens: http://www.presses.ens.fr/Data/le_0263-7.pdf
Sigle auteur: Auvray-Assayas and al. 2001
Titre: Cicéron et Philodème. La polémique en philosophie
Revue/Collection: Collection Études de littérature ancienne
Lieu èdition: Paris
Éditeur: ENS rue d’Ulm
Annèe edition: 2001
Pages: 438
Mots-clès: Philosophie - Filosofia - Philosophy
Description: [Abstract] Le colloque sur Cicéron et Philodème est introduit et dominé par la très riche contribution du regretté Marcello Gigante, qui apporte un état de la question capital sur Philodème dans l’histoire de la littérature grecque; l’auteur, s’appuyant sur une étude diachronique de l’érudition à partir d’Usener et de Sudhaus met en lumière le problème essentiel de «communication» qui a hypothéqué, avec les préjugés moralisants, la transmission de l’épicurisme à Rome; la rhétorique est au cœur du débat. A. Michel apporte d’utiles remarques, qui s’ajoutent au dossier difficile des relations idéologiques entre l’otium romain, très politique, et la doctrine épicurienne; une étude attentive du Peri rhètorikès et du Peri agathou basileôs... révèle l’inflexion romaine et «civique » de l’épicurisme campanien, soulignée par l’article «classique » de Momigliano. Une analyse subtile et assez convaincante de C. Lévy sur «la problématique de l’éloge paradoxal» rétablit bien l’équilibre entre l’anti-épicuréanisme de Cicéron, sorte de dogme établi, et une certaine «positivité, sincère ou feinte» de plusieurs mentions. Nul ne niera qu’il y ait, chez l’Arpinate, un tiraillement entre le rejet de la doctrine, parfois systématisée dans son esprit au détriment de la lettre, et l’estime pour tel ou tel épicurien romain. Voir notre Otium...., qui reste au cœur du débat ; voir l’affirmation étonnante du De Off. III, 117. La «réponse» de J. L. Ferrary met l’accent sur cette ambiguïté, notamment en réexaminant avec sagacité la correspondance avec le «convers» Cassius. L’étude, plus prosopographique que philosophique, de M. Griffin, Piso, Cicero and their Audience, apporte la mise au point sur l’opposition politique entre Cicéron et Pison, antérieure à la réconciliation des Philippiques; l’article insiste sur la lecture hédoniste... et déviée des leçons du maître en épicurisme, Philodème. La «seconde partie» est centrée sur une «confrontation des doctrines», à vrai dire plus qu’esquissée. La contribution d’E. Asmis, plus copieuse que dense, se dégage mal du ‘topos’ sur le platonisme de Cicéron, et n’analyse que tardivement «l’argument anti-épicurien»; après un long détour par la politologie de l’Académie et du Lycée, et de l’antagonisme «politique» entre Portique et Jardin, mal dominé, on arrive à la conclusion évidente que le civisme cicéronien serait anti-épicurien. Quelques réserves qu’on soit tenté de formuler sur la formule «antilogique» exposé-réponse, celle des Entretiens de la Fondation Hardt, force est de constater que la très riche «réponse» de B. Besnier, avec son appareil bibliographique, recentre le débat sur l’essentiel Fin. Ensuite, le précis d’éthique épicurienne limité à «quelques considérations sur l’éthique» (l’amitié ; la doctrine du plaisir), postule, plus qu’elle ne la démontre, « la familiarité de Cicéron avec Philodème et son ‘œuvre’ »; la démarche reste assez impressionniste et diffuse dans cet essai de V. Touna. L’originalité de l’axiologie morale de Torquatus se dégage mal des juxtapositions thématiques. On appréciera davantage la belle étude de M. Capasso, Les livres ‘Sur la flatterie’ dans le ‘De uitiis’ de Philodème et la «confirmation» d’A. Monet. L’article de D. Obbink sur «le livre I du De natura deorum de Cicéron et le De pietate de Philodème» apporte de fortes conjectures sur une lecture directe, et livre des éléments éclairants sur le contact de l’Arpinate avec les religions orientales et leurs théologies originales. On aborde alors la «troisième partie» sur les problèmes de culture et d’esthétique posés par l’œuvre de Philodème. Un très riche bilan de D. Delattre et la synthèse de D. Blank sur la place de la rhétorique dans l’orthodoxie épicurienne précèdent la confrontation entre Philodèm et Cicéron sur les ‘models of rhetorical expression’; le grand mérite de D. Blank est de souligner les mises au point doctrinales de Démétrius Laco, souvent sous-estimées; une discussion très féconde sur la paideia, la part de technè dans la rhétorique, permet de cerner une évolution, sinon une déviance, des « jeunes épicuriens» ; mais cela n’exclut pas, de la part de Philodème, une familiarité avec la totalité des «écrits des fondateurs», et les mises au point sont de nature à nuancer les thèses «anti-oratoires» prêtées à Épicure, sur lesquelles Cicéron fait assez souvent fond. Le parallèle institué par R. N. Gaines entre le Brutus, l’Orator, et le papyrus 1423, qui rappelle les «modèles» de Cicéron et ses débats ‘de optimo, genere’, permet d’élargir le problème à l’ensemble de l’esthétique philodéméenne: de passer de l’esthétique discursive à l’esthétique émotionnelle de la poésie. Le débat pourrait être mieux axé sur la poétique cicéronienne et ses liens avec certaines des finalités de l’éloquence (mouere/delectare). La très savante analyse sur Philodème et l’esthétique de la poésie, de R. Janko, reste tributaire des obscurités de la tradition textuelle de la composition. Mais la synthèse sur le sublime de l’antiquité couronnera le recueil, en interrogeant la tradition des kritikoi qui court de l’Académie au traité de Longin (J. I. Porter); le trait commun du «sublime longinien» et de «l’idéal cicéronien» est d’expliciter un esthétisme de la voix humaine, et un au-delà des techniques intellectuelles de la persuasion. La grande originalité de l’École campanienne, dont Cicéron ne semble guère avoir discerné la cohérence, est d’avoir développé une esthétique positive, qui relève le Jardin du grief d’inculture artistique. La dernière partie de l’ouvrage est très riche. A. Barker analyse la théorie musicale du stoïcien Diogène de Babylone, conservée dans une intention polémique, par Philodème: toute une doxographie hellénistique explicite le conflit entre une «approche» mathématique et une «approche» empirique de l’harmonie musicale. On lira avec le plus vif intérêt les analyses ténues sur le «mouvement» et la mimétique de l’action. La «reconstruction de l’esthétique musicale de Philodème», qui suit, est plus «classique» (D. Delattre). Cet auteur restitue le sens précis de mousikè, le mécanisme sensoriel de l’audition; un peu rapide sur «le statut des arts dans l’épicurisme» – qui néglige P. Giuffrida –, il établit, sur la base de la «physique», la liaison de la musique avec l’alogon, l’absence de «capacité motrice» de la musique : antinomique de l’ascèse de sagesse et de bonheur, elle ne peut garantir qu’un plaisir formel – on rejoint le fragm. 67 des Epicurea. Du coup se trouve dépassé le dilemme académique dans lequel l’érudition italienne enfermait la pratique de la musique (et de la poésie), entre 1930 et 1950: fantaisie compatible avec la doctrine, ou hérésie? La conclusion de bon sens est qu’il existe une lecture romaine de l’épicurisme, à l’usage de l’aristocratie cultivée, et qu’ici, comme dans le domaine de la science politique, Philodème, a joué un rôle essentiel. Cette publication collective ne résout pas totalement les problèmes de réception, directe ou indirecte, de la pensée philodéméenne chez Cicéron: la pochade de l’In Pisonem et l’allusion du De Finibus ne suffisent pas! Les rapprochements philologiques et juxtalinéaires ne créent que des probabilités. Mais le contact purement intellectuel avec l’épicurisme campanien, et le refus ambigu des convergences, sont difficilement niables.
Liens: http://www.presses.ens.fr/Data/le_0263-7.pdf
Sigle auteur: Auvray-Assayas and al. 2001